Photos banales sur internet : le Tribunal coupe l'appétit des banques d'images

23/4/2025

L'utilisation non autorisée de photographies sur internet constitue une problématique récurrente pour les professionnels. Une récente décision du Tribunal Judiciaire de Rennes (31 mars 2025, n°23/05205) apporte un éclairage important sur les limites de la protection des photographies culinaires et les conditions du parasitisme en matière de propriété intellectuelle.

Les faits de l'espèce

Dans cette affaire, la société SUCRÉ SALÉ, exploitant une banque d'images culinaires commercialisées via son site web, poursuivait un artisan-pêcheur pour avoir utilisé sans autorisation deux clichés (un plat de rougets et une limande) sur son site internet professionnel. La société réclamait près de 9.000 euros de dommages et intérêts sur le fondement principal de la contrefaçon de droits d'auteur et, subsidiairement, du parasitisme.

L'originalité des photographies culinaires remise en question

Le Tribunal a d'abord analysé la question de l'originalité des photographies, condition sine qua non de la protection par le droit d'auteur. Pour rappel, une œuvre est protégeable dès lors qu'elle présente un caractère original, fruit de l'effort créateur de son auteur et reflet de sa personnalité.

Dans sa décision, le Tribunal considère que les deux photographies litigieuses sont dépourvues d'originalité :

  • Pour la photographie du plat de rougets, le Tribunal relève que "le plat photographié est un plat traditionnel de la cuisine provençale, présenté dans un récipient tout à fait classique" et que "le cadrage et l'angle choisis ne traduisent pas d'autre impératif que celui de présenter le plat et ses ingrédients dans leur ensemble".
  • Pour la photographie de la limande, le Tribunal note qu'elle "se caractérise par l'absence de toute mise en scène du poisson photographié" et que "le cadrage et la lumière choisis ne visent qu'à présenter ce poisson dans son ensemble, le plus naturellement et fidèlement possible".

Le Tribunal conclut, sans surprise, que les choix opérés par l'auteur ne révèlent aucun "choix libre et créatif" susceptible de refléter sa personnalité.

L'absence de parasitisme

La société SUCRÉ SALÉ invoquait subsidiairement le parasitisme, consistant pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts sans contrepartie.

Sur ce fondement également, le Tribunal rejette les demandes pour trois raisons principales :

  1. Rien n'établissait que les photographies avaient été extraites de la photothèque de SUCRÉ SALÉ ;
  2. Leur caractère "très banal" rendait non fautif le fait de les diffuser sans vérification préalable des droits ;
  3. Le préjudice allégué n'était pas établi, la société fondant ses demandes "essentiellement, sinon exclusivement, sur l'existence d'une contrefaçon" non reconnue.

Les enseignements pratiques de cette décision

Cette décision présente plusieurs enseignements importants pour les professionnels :

  1. Une approche stricte de l'originalité des photographies culinaires : Les juges exigent des choix créatifs allant au-delà de la simple présentation fidèle et esthétique d'un plat ou d'un produit alimentaire.
  2. Une protection limitée pour les photographies banales : Les clichés jugés banals ou purement documentaires ne bénéficient pas de la protection du droit d'auteur.
  3. La charge de la preuve du parasitisme : La démonstration du parasitisme nécessite d'établir non seulement l'utilisation non autorisée mais aussi l'origine précise des photographies et un préjudice distinct de celui résultant de la contrefaçon.
  4. Une approche pragmatique concernant les photos du quotidien : Le Tribunal reconnaît implicitement que certaines photographies usuelles peuvent circuler sur internet sans qu'une vérification systématique des droits soit exigible.

Cette décision constitue un frein important aux pratiques de certaines banques d'images qui recourent abusivement (1) à l'envoi de lettres de mise en demeure très agressives et (2) de la voie judiciaire pour augmenter leurs revenus plutôt que pour obtenir réparation d'un réel préjudice.

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