7/1/2025
Une récente décision du Tribunal Judiciaire de Paris (3e ch. 2e sect., 20 décembre 2024, n° 22/08038) apporte un éclairage intéressant sur la protection des jeux de société par le droit d'auteur, notamment quand il s'agit d'apprécier l'originalité d'une combinaison d'éléments non protégeables individuellement.
La société ATM Gaming, éditrice du jeu de société "Juduku", reprochait à un développeur d'avoir repris certains éléments de son jeu dans une application mobile baptisée "Toz". Plus précisément, elle estimait que le mini-jeu "7 secondes" intégré à cette application constituait une contrefaçon de son jeu.
Le Tribunal rappelle d'abord les principes classiques : le droit d'auteur ne protège pas les idées mais uniquement leur expression originale. Ainsi, le concept même d'un jeu d'ambiance provoquant n'est pas protégeable - le Tribunal cite d'ailleurs comme antériorités les jeux "Limite-limite" et "Cards against humanity".
De même, les cartes prises individuellement ne présentent pas d'originalité particulière. Le Tribunal relève que "la formulation des questions, toujours courtes, ne porte pas en soi l'empreinte de la personnalité de leur auteur".
Mais l'originalité peut naître de la combinaison d'éléments banals. C'est ce que retient le Tribunal : "la sélection de ces nombreuses questions parmi tous les thèmes adaptés à l'esprit de ce jeu, combinée à la règle du jeu décrite ci-dessus, constitue un ensemble de choix créatifs [...] pour que le jeu porte l'empreinte de la personnalité de son ou ses auteurs".
Une fois l'originalité établie, la contrefaçon était aisée à démontrer puisque 69 cartes du jeu Juduku avaient été reprises quasi à l'identique dans l'application. Le Tribunal considère que "leur reprise en grand nombre dans un autre jeu constitue donc une reproduction du Juduku".
Le Tribunal a néanmoins considéré que le préjudice était limité, notamment car les cartes contrefaisantes ne représentaient qu'une faible partie du jeu litigieux (69 cartes sur 1841). Les dommages et intérêts ont donc été fixés à 5000 euros, bien loin des 400 000 euros réclamés initialement (uniquement pour le préjudice matériel).
Cette décision rappelle qu'un jeu de société peut être protégé par le droit d'auteur, même si ses composants pris isolément ne sont pas originaux. C'est la combinaison des différents éléments qui peut créer l'originalité nécessaire à la protection.
Pour les créateurs de jeux, il est donc important de documenter les choix créatifs effectués dans la sélection et l'agencement des éléments du jeu, même si ces éléments pris individuellement semblent banals.
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